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Permaculture et genre

 L’équité des genres : comparaison Canada – France – Cuba

J’aurais souhaité passer à côté de cette thématique, mais au vu des iniquités, je pense que cet enjeu est aussi pertinent lorsqu’on parle de permaculture.

Je suis l’une des uniques autrices francophones en permaculture, c’est pourquoi je souhaite parler de ce point souvent non mentionné, comme si cette thématique était à part. Pourtant, tout comme les questions environnementales, les questions d’équité sociale sont sous-jacentes à toutes les thématiques. Mes observations de terrain ne sont que trop révélatrices pour que je fasse fi de cette question. Il y a un tabou en permaculture autour de l’équité de genre. J’explique cet angle mort au fait qu’être permacultrice·ur suppose une posture de bienveillance et d’équité.

Je mets ici un bémol par rapport aux permacultrice·urs cubain·es, qui abordent régulièrement la question, autant dans les rencontres formelles que dans la littérature permaculturelle locale ainsi que dans les postes d’influence. Il faut dire que Cuba est un pays bien particulier aux multiples paradoxes. L’équité des genres via l’accès à
l’éducation, l’égalité salariale, etc., y est institutionnalisée depuis la révolution. En deux générations, le changement des mœurs autour de cette question a été culturellement intégré. Paradoxalement, dans les sphères privées, les préjugés stéréotypés des rôles genrés et les iniquités qui vont avec sont immenses. Malgré tout, l’apparente majorité des permacultrice·urs à la Havane sont soit des hommes, soit des femmes en couple.

Équité de genre - Cuba
La Havane, Cuba – janvier 2020

« VIOLENCE DE GENRE :
Décrit tout acte ou manquement intentionnel basé sur l’inéquité de genre qui provoque des préjudices physiques,
psychologiques et/ou patrimoniaux sans égard aux droits de la personne.
Les hommes et les femmes exercent les rôles de victimes et d’agresseur·es mais les femmes sont les plus touchées par la violence de genre.

C’est une question de justice sociale d’observer, de reconnaître, de surveiller et de prévenir les VIOLENCES FAITES AUX FEMMES. »

En dehors de cette exception cubaine, si je regarde de façon empirique la proportion de femmes dans le domaine de l’environnement, dans les villes que j’ai traversées, les chiffres explosent. Nous sommes partout : dans les universités, dans les jardins, dans la santé, dans les lieux d’éducation au quotidien, dans les associations bénévoles, dans les administrations, dans le faire. Pourtant, la majorité des hauts postes d’influence – directeurs, présidents, formateurs, responsables des politiques, auteurs, penseurs intellectuels, boursiers, entrepreneurs, etc. – sont occupés par des hommes, souvent blancs, souvent cisgenres et souvent âgés de 40 ans et plus. Pourquoi? Car le patriarcat est toujours fortement présent. Je ne vais pas faire ici un manifeste sur l’équité des genres, mais je voudrais souligner que la permaculture s’appuie sur trois principes éthiques, dont celui du partage équitable et celui de prendre soin de l’humain (et non celui de « prendre soin de l’Homme », que le « h » soit en majuscule ou non). Ces deux principes éthiques s’appliquent à l’ensemble des thématiques, dont celle du genre! J’invite tout un chacun à observer son projet permaculturel via le prisme de l’équité des genres. En ville, il y a fort à parier qu’une majorité de femmes se situent dans la zone 0, 1 et 2 du projet, c’est-à-dire à des rôles clefs et sur le terrain.

Nous nommons permaculture sociale l’union des deux derniers principes, c’est-à-dire prendre soin de l’humain et partager équitablement. J’aime l’idée que leur association invite à la mobilisation de l’intelligence collective. Et là, encore une fois, bonheur! de nombreux ouvrages et collectifs connaissent bien cette thématique.

 Exercice de bonification des postures en groupe concernant l’équité des genres 

Pour bonifier vos projets, je vous propose quelques questions d’observation :

  • Quelles personnes occupent les rôles de pouvoir (même dans les cas de la gouvernance partagée : quels sont les noms sur les papiers administratifs officiels? Quel nom figure en premier dans les communications? etc.)?
  • Qui est la personne charismatique naturelle?
  • Quel est le genre de vos autrice·urs et de vos penseur·es de référence pour le projet?
  • Qui fait les discours lors de conférences ou de présentations publiques?
  • Qui a le plus de contacts extérieurs officiels qui débouchent sur des partenariats ou des contrats?
  • Qui prend soin du lien administratif?
  • Qui est présent pour l’ensemble des réunions?
  • Qui pose la question de la gestion des enfants pour libérer du temps pour le projet?
  • Qui prend soin des connexions invisibles entre les personnes par des attentions particulières?
  • Qui passe le plus d’heures à travailler sur l’organisation et la planification?
  • Qui passe le plus de temps à entretenir les réseaux de communication?
  • Qui porte le plus de charges mentales pour le projet?
  • Qui porte le plus de charges émotionnelles pour le projet?

Je vous invite à observer ces dynamiques et leurs conséquences, à les nommer en groupe et à tenter de trouver des stratégies créatives pour déconstruire les dynamiques que vous jugez déséquilibrées.un

 Évolution des consciences

Je sais que les citoyen·nes des villes canadiennes, malgré l’accaparement encore présent des cercles de pouvoir par les hommes, sont plus conscient·es de ces dynamiques que des citoyen·nes d’autres pays. Il y est souvent facile de trouver l’espace pour les nommer et les réajuster dans les collectifs environnementaux canadiens que je côtoie. Cet espace n’est pas toujours ouvert ailleurs. J’ajouterai qu’il me semble difficile en France d’aborder cette thématique sereinement, même auprès de collectifs permacoles, colibristes ou autres. Je crois que cela est dû à la prise de conscience relativement récente de la France sur le caractère patriarcal conservateur de sa propre culture.
Afin de comprendre les enjeux de réalité qui se cachent derrière cette absence d’équité, je souhaite vous exposer mon expérience personnelle. En tant qu’entrepreneure permacultuelle, la majorité des hommes qui m’écrivent pour prendre connaissance de mes activités le font pour des raisons semi-cachées, souvent érotiques et de pouvoir. La majorité de ces hommes m’interpelle via une attitude de mansplaining, pour me proposer des partenariats clairement inéquitables. L’argument est que ce serait une belle occasion pour moi. De plus, on me demande de le faire gratuitement, vu que la philosophie de la permaculture proposerait, d’après certains d’entre eux, que ces connaissances leur soient transmises gracieusement, sans aucun accord de réciprocité ni aucune autre forme de reconnaissance (voir le chapitre sur l’économie).
Encore une fois, je voudrais souligner les deux éthiques de prendre soin des humains et partager équitablement, autant pour celui qui est formé que pour la formatrice.
Au-delà des nuisances psychologiques personnelles que ce genre d’interactions impliquent, je voudrais ajouter que répondre et trier les discussions avec ces personnes prend du temps, de l’énergie, de la persévérance, qui s’ajoutent aux défis quotidiens de tout·e entrepreneur·e. Cette barrière à l’entrée des femmes dans le monde de l’entrepreneuriat est universelle et également présente dans le monde de la permaculture.

Encore une fois, je parle de la majorité des hommes qui m’écrivent. Autant dire qu’ils représentent une minorité de l’ensemble des hommes qui suivent mes activités. Mais cette minorité, qui prend le droit de s’exprimer, est oppressante. La charge individuelle psychologique et le temps passé sont lourds. Ici, j’accuse la culture sociétale et je souhaite faire appel à l’autoresponsabilisation de tout un chacun : l’oppresseur·e, l’oppressé·e et les témoins.

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